Tout commence par les histoires

Mon histoire avec les histoires remonte à l'enfance, à cet instant de bascule entre le jour et la nuit, moment des histoires du soir écoutées attentivement avant de glisser dans les rêves, des histoires lues ou racontées à haute voix pour fuir les cauchemars. 

Voici une des toutes premières histoires que j'ai écrite il y a déjà 15 ans, inventée pour le soir et comme le diront mes filles des années plus tard, racontée avec la bouche et pas avec un livre.



Le petit bonhomme de la Lune

Il y a très longtemps maintenant, un grand malheur s’abattit sur la plus grande ville du pays. Quand la nuit venait, une terreur effroyable gagnait les habitants. Tout le monde, les parents, les grands-parents, les enfants se blottissaient les uns contre les autres, au fond des lits, pour conjurer la peur. Car lorsque la nuit venait, le ciel s’emplissait d’un glacial clair de lune et l’on entendait venir de partout des grands BADABOUM, BADABOUM, BADABOUM. C’étaient les sabots des chevaux des cavaliers noirs. Les cavaliers étaient immenses et leur silhouette noire dans les rues baignées du clair de lune, glaçaient quiconque d’effroi. Les pauvres gens qui apercevaient ces silhouettes en tremblaient de peur pendant une semaine entière, au moins. Mais plus effrayant encore, croiser le regard d’un seul grand cavalier noir enlevait tout l’amour logé dans le cœur. Alors, le soir dans les maisons, tout le monde se glissait dans le même lit, ensemble, bien cachés sous la couette. Quand les grands BADABOUM, BADABOUM, BADABOUM se rapprochaient de la maison, c’était le moment de se serrer très très fort les uns contre les autres et de s’enfouir encore plus profonds au creux des lits. Car les cavaliers noirs scrutaient jusqu’aux moindres interstices entre les volets ou rideaux mal ajustés pour croiser un regard, et voler l’amour qui s’en échappait. Ce n’était pas pour le garder ! Non, ils le piétinaient des sabots de leur cheval, jusqu’à l’anéantir complètement.

La ville ne serait peuplée que de gens cruels et sans cœur si une nuit n’était arrivé une extraordinaire. Tandis que les grands cavaliers noirs chevauchaient dans les rues à la recherche d’une personne égarée pour lui voler son amour, d’immenses nuages sombres envahirent le ciel. Ce fût encore plus terrifiants ! Et même les chevaux se figèrent sur place. Pendant ce temps, bien caché par les nuages et la nuit un petit bonhomme déroula une échelle faite de fils d’argent, depuis la Lune jusqu’au centre de la ville. Arrivé à terre, le petit bonhomme de la Lune ouvrit un sac et en fit sortir des scarabées émeraude, des coccinelles rubis et des papillons saphir.

Alors, les scarabées émeraude, les coccinelles rubis et les papillons saphir se mirent à ramper et voler dans toutes les directions. Quand ils rencontraient l’un des chevaux des grands cavaliers noirs, les scarabées émeraude montaient sur ses jambes en faisant de douces chatouilles, les coccinelles rubis lui faisaient des bisous sur le museau et les papillons saphir l’enveloppaient de tendres caresses avec leurs ailes. Réchauffés par ces chatouilles, ces bisous et ces caresses, les chevaux se précipitèrent hors de la ville et coururent très très loin. Ils se débarrassèrent de leurs cavaliers sans cœur dans des lacs et rivières, et libre, partir joyeux gambader dans les prairies, les collines et les montagnes du pays. Les scarabées émeraude, les coccinelles rubis et les papillons saphir, une fois leur travail achevé, se cachèrent partout où ils le pouvaient dans la ville : dans les petits trous des murs, dans les arbres, en haut des clochers, sous les tuiles des toits.

Au petit matin, les habitants de la ville sentirent un changement…. Mais ils n’étaient toujours pas rassurés. Une seule chose était certaine, la nuit passée, aucun grand cavalier noir n’avait croisé le regard d’habitant pour lui voler l’amour logé dans le cœur.

La journée se passa comme d’habitude, sans grande joie et avec la crainte de voir la nuit tomber. Aussi, quand le soir revint, les parents, les grands-parents et les enfants firent comme tous les soirs : ils se blottirent bien serrés les uns contre les autres au fond de leur lit. Et cette nuit-là, pour la première fois depuis bien longtemps, aucun BADABOUM, BADABOUM, BADABOUM ne se fit entendre. Les gros nuages sombres de la nuit passée commencèrent à s’amonceler. Une fois que tout fût obscur, le petit bonhomme de la Lune déroula son échelle d’argent et redescendit au centre de la ville. Alors que tous les habitants de la ville était cachés blottis au fond des lits, les scarabées émeraude, les coccinelles rubis et les papillons saphir sortirent de leurs cachettes et vinrent rejoindre le petit bonhomme. Une fois tous les insectes dans son sac, il remonta sur l'échelle en fil d’argent. Arrivé assez haut pour voir toute la ville d’un seul coup d’œil, il sortit de sa poche de la poudre de Lune et en arrosa toute les rues, maisons, bâtiments et jardins.

Quand les nuages noirs eurent quitté le ciel une lueur douce et chaleureuse prit la place du glacial clair de lune des nuits précédentes…. Et aucun BADABOUM, BADABOUM, BADABOUM ne se fit entendre cette nuit-là, ni les suivantes.

Au petit matin, lorsque tout le monde se réveilla, la ville avait vraiment changé. Les parents, les grands-parents et les enfants se sentirent beaucoup plus légers : la peur les avait quittés. La poudre de Lune avait aussi pansé le cœur des personnes qui avaient croisé le regard des grands cavaliers noirs. Ces pansements permirent à leur amour de revenir petit à petit. 

Il se dit que plus aucune personne cruelle et sans cœur ne demeura dans la ville. Le petit bonhomme de la Lune y veillait, et redescendait saupoudrer de la poudre de Lune de temps en temps. Depuis, dans ce pays, les gens saluent la Lune qu'elle soit pleine et ronde au mince comme un fil d'argent quand elle répand sa douce lueur dans la nuit. Les chevaux aussi sont heureux les soirs où la Lune se cache sous les nuages, leurs amis scarabées, coccinelles et papillons leurs rendent visite.



Katell Salazar - 2005


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