Comme l’eau, l’écriture trouve toujours son chemin


 Ce texte est certainement le plus personnel que je publie. Il retrace le chemin par lequel l'écriture passe en moi. Il me permet d'explorer comme elle chemine depuis fort longtemps. La magie de l'écriture a encore opérée en faisant naître la métaphore de l'eau, si claire, si limpide. On peut tout faire en écrivant à la source intérieure.



Comme l’eau, l’écriture trouve toujours son chemin

  Au commencement, étaient les histoires. Si ce n’est le début de l’univers, c’est bien le début de mon univers. D'abord, les histoires que ma mère me racontait le soir, avant de dormir, et toutes celles qui étaient racontées à l’école. Et puis, est venu le temps où j’ai su les lire moi-même. C’est peut-être cet amour des histoires qui m’a amené à savoir lire très tôt, bien avant qu’on cherche à me l’apprendre. Dès lors, j’ai lu tout ce qui me tombait sous la main, absolument tout... même le dictionnaire. Un vieux Larousse, couverture grise et semeuse jaune, blanche et noir. Je sens encore le touché légèrement râpeux de la couverture tissée, les pages fines, légèrement ternes. J’adorais chercher des mots au hasard, lire leur définition et m’imaginer leurs sens, leur vie, leurs emplois.... surtout s’ils m’étaient inconnus. J’ai certainement été la plus heureuse des enfants quand je suis entrée pour la première fois dans la bibliothèque municipale de ma ville. Autant de livres à ma disposition, je crois que mon émerveillement bat encore quelque part en moi quand la bibliothécaire m’a fait visiter tous les espaces (albums jeunesse, BD, romans, etc.) et m’a annoncé le nombre de livres que je pouvais emporter chez moi. Quand j’ai su manier l’écriture assez finement pour exprimer ce que produisait mon cerveau florissant, j’ai commencé à écrire quelques histoires, ou des pièces de théâtre qui mettaient en scène mes marionnettes. De ces écrits, je n’en ai aucune trace. Ecrire était-il une nécessité à ce moment-là de ma vie ? Mon imaginaire d’enfant trouvait à s’exprimer à travers les jeux, ou le dessin. Etait-ce suffisant ? Sûrement aussi, avais-je déjà intégré que tout ne se dit pas et ne s’écrit encore moins. Les traces des mots restent comme les marques du burin dans la pierre ou le bois. Les mots, les émotions, les ressentis, les non-dits, ne s’écrivent pas plus qu’ils ne s’expriment. C’est du moins l’injonction, non dite, qui pesait très fortement sur mes envies. Il fallait composer avec. Mon refuge : les livres, tout ce qui passait à ma portée. Et je peux témoigner que si France Loisir, en plus de la bibliothèque municipale, a distrait beaucoup de mes nuits et dimanches pluvieux dans mon enfance et mon adolescence, les livres de mamaison ne m’ont pas tous laissé de souvenirs marquants.

 Après la bibliothèque municipale, mon second grand choc fut la rencontre avec l’étude du français à travers sa dimension littéraire, au collège, classe de 3ème. Il m’aura fallu attendre mes 14/15 ans pour découvrir que le « français » à l’école était autre chose que l’orthographe, la grammaire, les conjugaisons, les dictées, les rédactions. Pour être tout à fait exacte, c’est à partir de la 3ème que j’ai rencontré des professeurs réellement passionnés par la littérature et qui savait transmettre leur passion. J’ai une mention spéciale pour mon professeur de 1ère, à la fois excellent et abominable enseignant.  Nous n’étions qu’une poignée à suivre son cours, sur quarante élèves, les autres décrochaient, et il s’en fichait. Mais pour cette poignée, quel bonheur. Au programme, le courant des poètes maudits (Baudelaire et l’étude intégrale des Fleurs du mal, Lautréamont, Rimbaud, et Tristan Corbière, notre poète à nous), terriblement romantique en pleine adolescence et Le nœud de vipères de François Mauriac. Roman par excellence de l’incommunicabilité, thème avec lequel j'étais, si l'on peut dire, en communion ! Une passion naissante, très vite contrariée. Le système français élitiste ne voulait pas que je suive une voie littéraire : le bac A, de l’époque, c’est pour les « pas doués », le bac scientifique C, la voie d’excellence qui ouvre toutes les portes pour les excellents élèves comme moi (malheureusement). S’il est faux de dire que ma vie d’étudiante, professionnelle et personnelle a été un échec, ce qui est certain c’est que le bac C, ou plutôt ce qui m'y ont poussée, ont cloué la porte de mes désirs. La littérature ne se pratiquera que d’un côté, celui de la lecture. Celui de l’étude, de la découverte, de l’aventure et de l’écriture, sommeillera.

 Les graines semées dès l’enfance ont pourtant continué à germer, tout doucement, à l’abri de ma conscience. Et si l’idée d’avoir besoin d’écrire n’a pas effleuré mes neurones, l’envie d’imaginaire et d’histoires a trouvé à s’exprimer. D’abord dans le théâtre d’improvisation, dans une compagnie magnifiquement nommée le Théâtre des gens, pendant 9 ans. Une pratique presque à l’opposé de l’écriture. Ce qui se fait, se joue, s’invente, se construit sans s'écrire. Quand c’est joué, cela ne laisse de traces que dans les mémoires. Une manière d’inventer des histoires, sans écrit, spontanée. Un formidable puit d’imaginaire qui passe par le corps. Puis, ce fût le retour de l’enfance dans ma vie qui tira doucement l’écriture de mes limbes intérieurs. Ma belle-fille Ana en premier lieu, m’a transformé en raconteuse, puis conteuse et enfin inventeuse d’histoires. Ces histoires ce sont logées dans ma mémoire, et probablement aussi dans la sienne, avant que je ne décide d’en coucher une sur le papier ; plutôt sur l’écran pour qu’elle se loge dans la mémoire de mes ordinateurs. Depuis, tous mes textes voyagent précieusement sur des clefs USB ou dans le fameux Cloud et me suivent quelques soit l’outil. Etranges traces que nous laissons, quand mes prédécesseurs gardaient la mémoire de leurs écrits sur toutes sortes de papier (lettre, carnet, cahier....). Ainsi donc, la première histoire écrite dont j’ai gardé la trace, est Le petit bonhomme de la Lune. Cette histoire a d’abord été inventée pour Ana, puis elle a été racontée des dizaines et des dizaines de fois, c’était l’une de ses favorites après les histoires de l’Ankou. Elle s’est tellement ancrée en moi, que quelques années plus tard, alors que Maïwen, ma première fille, grandissait dans mon ventre, je me décidais enfin à en graver les mots. Les graines de l’écriture se sont sérieusement réveillées. D’autres histoires ont rejoint Le petit bonhomme de la Lune, histoires écrites, confidentielles, timides, qui n’ont pas franchi les frontières d’un tout petit cercle familial et parfois amical.

 La plume s’est activée, ma participation à un premier atelier d’écriture, un dimanche, m’a profondément émue. Et puis.... j’ai à nouveau étouffé tout ce qui poussait dans ma terre intérieure. Le fameux train-train quotidien, au triptyque métro/boulot/dodo s’est ajouté bébé/enfant/famille, tandis que dodo se rétrécissait. Alors tout n’était pas, non plus,  laissé à l’abandon, Maïwen a été bercée d’histoires racontées, contées, inventées (un peu moins). Elle a découvert très tôt la bibliothèque municipale, elle aussi. Notre rayon préféré : les contes. Nos contes préférés : Belle et la bête, Grigrigredinmenufretin, La belle au bois dormant. Nos éditions préférées : Milan jeunesse pour la beauté des textes et des illustrations. Nous avons lu toutes les versions, emprunté et réemprunté des dizaines de fois les mêmes livres. Mais pour mon écriture, c’était  encéphalogramme plat. Mes lectures devenaient très hétéroclites, contes, histoires enfantines, romans, polars, bibliographies, poésie... Ha si, me renvient en mémoire une histoire écrite dans un train, une parenthèse de temps entre le boulot et la famille, Paris et Dijon. Une histoire née le matin, dans le train aller, bloqué à 200 mètres de la gare par le poids de la neige sur un caténaire. Un monsieur en costume gris m’a beaucoup intrigué en cherchant longuement, à quatre pattes sous son siège, une chose inconnue qui semblait petite. Cela a suffi à piquer ma curiosité et  à en faire une histoire, le soir, dans le train du retour.

 C’est une chance, je n’avais pas détruit toutes les graines. Comme toute chose enfouie qui ne demande qu’à vivre, un jour elles sortent par un chemin détourné, inattendu, surprenant. Plutôt douloureux aussi. Ce n’est qu’après ce que maintenant nous appelons un burn out que l’écriture s’est révélée comme une évidence plus qu'une nécessité. Moi, je ne dirai pas burn out, car s’il y a bien eu une phase d’effondrement, de fatigue intense et de mise en pause, rien n’a été brûlé, bien au contraire. A moins de dire que j’ai pratiqué la technique du brûlis pour permettre aux graines que je n’avais pas détruites de pousser sur un terrain plus fertile ?

 S’enchaînent alors, des textes, des recherches, des essais, des nouvelles, des contes, des débuts de roman, des tâtonnements, des envies, des haïkus, des ratés, des humeurs, un journal avec des trous et des retours en arrière, la mise en ligne d’un blog, des ateliers d’écriture par mail avec Aleph (rencontré 10 ans plus tôt), des propositions d’écriture avec l’Inventoire (très joli mot), la revue d’Aleph. Il reste tout de même long et sinueux, le chemin de l’écriture. Le chemin qui cherche à mettre en mots les émotions, les histoires, les non-dits, qui cherche à mettre dans la lumière le caché, le ressenti, la beauté comme la douleur, le bien comme le mauvais, l’instant, l’éphémère, ce qui est et que l’on veut fixer de peur de le perdre, qui cherche et fouille dans la mémoire ce qui ne s’est pas exprimé, qui dévoile et révèle, ce que l’on veut dire, à soi, aux autres, transmettre, suggérer, passer. Ecrire est une histoire d’émotions, une histoire qui touche à ce qui touche, une histoire qui laisse vibrer le ressenti, l’impalpable, qui rend existant l’invisible.

 L’eau trouve toujours son chemin, l’écriture aussi. Comme l’eau, l’écriture prend plusieurs formes : calme, limpide et sereine dans les meilleurs moments, vive et vivifiante, impromptue, trouble et tempêtueuse, menaçante, libre et joyeuse, majestueuse et immense comme l’océan ou fine et frêle comme la pluie quand elle décide d’être interminable en Bretagne. Comme l’eau, elle invite à la contemplation, la méditation, le respect, la distance, elle donne des envies furieuses de s’y plonger, s’y couler, se laisser porter et emporter, elle inspire crainte et attirance et parfois se tarit. Elle demande un cadre, une discipline, une constante attention, il faut lui ménager des berges et les entretenir pour qu’elle puisse filer librement. Sans elle, rien n’est possible. Quand elle vient à manquer tout s’assèche, se meurt et s’effrite, perd de son sens. L’écriture est une source. Elle est le chemin, qui prend source en nous, et mène à soi.

 Je ne sais pas encore où me mènera ce chemin, ni quelle forme il prendra. Je sais juste que plus qu’une envie, c’est le besoin impérieux de l’emprunter et de ne plus le lâcher qui m’habite. Il n’y a qu’une chose dont je ne doute pas : ma place est sur le chemin des mots.

 

On peut tout faire en écrivant à la source intérieure


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