Plus de batterie - Une rupture en moins de 3000 signes
Qui n'a plus de batterie dans cette histoire ?
Courte histoire née dans un atelier d'écriture. Point de départ : raconter une scène de rupture au moment où la personne quittée apprend la rupture.
L'art de montrer en quelques lignes (moins de 3000 signes espace compris, comme on dit) une histoire d'amour, une rupture, et ce qui se passe dans la tête de la personne quittée.
Plus de batterie
C’est la vingtième, ou peut-être la quatre-vingt-dix-huitième fois,
que j’allume l’écran du téléphone. Le message n’a pas le temps d’accéder à mon
cerveau avant qu’il ne redevienne noir.
Bon
je ne sais pas trop comment
te
le dire je voulais te voir
ce
soir pour t’annoncer que
c’est
fini entre nous mais je
crois
que c’est pas la peine
en
fait Je te laisse m’appeler
Il
faut que je vienne prendre
mes
affaires chez toi
Il y a un second message, plus court. J’ai le temps de le lire.
je
vois Nath maintenant
Je sors de chez Nathalie.
La neige volète par la fenêtre du bus, de gros flocons cotonneux
se désintègrent avant d’atterrir. Et je crève de chaud, mes mains sont moites,
ma sueur forme une petite flaque juste sous le bouton d’allumage du téléphone.
Julien avec Nathalie ? Depuis quand ?
Julien et moi c’est six mois. C’était. Non ! Il me dit qu’il
veut me voir ce soir. Maudit téléphone ! Ton message est trop long.
Nathalie, ma coloc, mon ancienne coloc. Mon amie ? Elle a
quitté l’appartement quand Julien et moi ... Julien et moi ? Une évidence : ma bourse de doctorat à
l’Ifremer, Julien docteur à l’Ifremer - il y a son pull noir à la maison -
il était dans la salle, j’ai présenté mon projet de recherche, il est venu me
serrer la main, m’a souhaité bienvenue à Brest – non ! Son pull noir, il
ne le récupèrera pas - et puis on s’est revu, une fois, deux fois, et puis plus,
et Nathalie est partie. Julien et moi, c’est encore.
Une goutte vient s’écraser sur « Nath », le déforme et
dégouline vers mon pouce collé au bouton d’allumage. Je porte mon doigt à ma bouche, c’est
salé, chaud, réconfortant.
Julien et Nathalie ? Depuis quand ?
Son pull noir avec un col cheminée, en coton, doux, son pull noir
avec son odeur un peu boisée, il sent la mer et le sable, aussi, depuis
dimanche. Au bord de la falaise, la neige tombait déjà, de gros flocons
tourbillonnaient dans le ciel sans tenir au sol. Il n’y avait pas de limite
entre ce ciel blanc et la mer, calme, sereine, heureuse de sentir la neige se
mêler à ses eaux grises. Il n’y avait pas limite entre moi et Julien, seuls sur
le sentier, dévalant comme des fous vers la plage, virevoltant au milieu des
paillettes blanches, des éclats de rire, du sel et du goémon. Il n’y avait pas
de limite à nos bouches, nos langues, nos haleines, nos mains, nos bras. Il n’y
avait pas de limite à mes joues, mon nez, mon visage enfouis dans son pull noir.
- Madame, ...., Madame ? Nous sommes au dépôt. Il faut descendre du bus.
- ......
- Vous êtes sûr que tout va bien ?
- ......
- Je finis mon service, un autre bus partira dans 20 minutes. Vous
devez aller l’attendre là-bas, de l’autre côté de la route.
Le noir envahit le ciel, la neige cesse, le sol glisse. Je reste debout,
seule, devant un poteau d’arrêt de bus au fond d’une zone industrielle, mes
mains gelées, crispées sur le téléphone. Le noir envahit l'écran, plus de batterie.
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