Les rencontres avec les sorcières peuvent aussi s'avérer salvatrices
Mon apprentissage de l'écriture passe par les ateliers d'Aleph Ecriture, que j'ai choisi de pratiquer à distance. De ce travail hebdomadaire sort parfois de belles surprises. Comme l'histoire de Nayavu et sa rencontre salvatrice avec la sorcière. Récit qui est traversé par Vassilissa, qui elle aussi sortira grandie et transformée de sa rencontre avec la Baba Yaga. Pendant l'écriture de ce récit, j'ai vu le spectacle conté "Baba yaga, territoire sacré" par la Compagnie Renard noir. Est-ce vraiment un hasard ?
Nayavu
Nayavu
Voici l’histoire de Nayavu, celle qui désormais sait transmettre
le secret de la clef.
Le bateau qui emportait sa grand-mère était maintenant
parfaitement englouti par les brumes au large de la pointe Anaba. Les lumières
déclinantes des feux arrière du navire flottaient encore sur les rétines de
Nayavu, alors qu’elle approchait de l’escalier de pierres noires menant à la
maison de la sorcière. Nayavu ne mesurait pas le temps qui s’était écoulé entre
la pointe Anaba et la lande où se tenait, isolée, la maison de la sorcière. Ses
larmes avaient séchées sur le chemin, sa chevelure s’était allongée, sa taille
affinée et ses hanches et sa poitrine avait pris de l’ampleur. En gravissant
les marches, un détail suspendit son élan. Un cadenas. Seul, rouillé, accroché
à la rambarde mal assurée. Un cadenas ouvert sur une porte disparue, sans clef.
Ce que ne savait pas encore Nayavu, c’est que la
sorcière se nommait Mahala. Mahala, comme sa grand-mère, qui maintenant flottait
jusqu’aux rives imperceptibles, au-delà des mondes connus. A moins que cette
sorcière ne fût qu’une simple messagère capable de donner souffle aux morts qui
avaient encore des choses à dire ? Ce que pensait Nayavu, c’est que la
sorcière de la lande avait le pouvoir de peindre nos désirs les plus forts. Savez-vous
d’où elle tenait ce secret ? De sa propre mère, qui l’avait déposé en elle
il y avait bien longtemps, avant de s’éteindre en la portant au monde. Mais
Nayavu l’avait oublié. Sa mère, morte en lui donnant la vie, n’avait pas pu le
lui dire. Mais encore, faut-il connaitre ce que l’on désire.
La sorcière, ondulait, entrainée par ses pinceaux,
quand Nayavu pénétra dans la maison. De sa danse puisée dans la terre de sa
maison de pierres, s’envolaient des fleurs irréelles, virevoltant de la toile jusqu’aux
notes cristallines du chant qui sortaient de ses entrailles. Dans un lent
mouvement, elle fit volte-face vers Nayavu, son corps dans la lumière, son
visage dans la pénombre.
- Bienvenue, mon enfant. Dit-elle simplement.
- Bonjour. Heu.... vous êtes bien...... sorcière ?...
celle qui......
La vieille femme sembla s’amuser de voir Nayavu si
désemparée. Mais elle avait bon cœur et décida d’aider la jeune fille, devenue
femme.
- Mon enfant, je sais ce que tu désires au plus
profond de toi. Mais dis-le moi, toi. Avec tes propres mots.
Alors, un mince filet de voix sortit de la bouche de
Nayavu, un souffle à peine porté, tout juste audible, une brume de plumes.
- Je veux rejoindre ma grand-mère Mahala. Elle est
partie au-delà des mondes connus. Me laissant seule.
- Bien. Est-ce vraiment ton désir le plus fort ?
As-tu pensé à ta mère ? Une fille ne peut pas partir avant sa mère. Et
n’as-tu pas un ou même plusieurs enfants à mener dans ce monde ?
- Je n’ai pas de mère, sorcière ! Cette fois ci,
c’est un cri rauque et puissant qui sortit du corps de Nayavu. Elle n’était pas
là quand je suis venue. C’est ma grand-mère Mahala qui m’a guidé sur le chemin
de la vie. Je veux la rejoindre, un point c’est tout. Et non, je n’ai pas de
fille ni de fils, je n’en aurai jamais. Ce n’est pas ce que je veux. Je n’ai
plus rien à faire dans ce monde.
- Pas de mère ? C’est impossible mon enfant.
Répondit la sorcière en se retournant happée par ses toiles et ses pinceaux.
Et là, un combat étrange, se livra. Une immense rage
saisie le corps de Nayavu et tandis qu’elle se contractait, se tordait, se
pliait, se cambrait, reprenait souffle, posait genoux à terre avant de puiser
au plus profond d’elle pour affronter la déferlante suivante, la sorcière se
nourrissait de Nayavu pour enfanter la toile. Un long chant grave ancré dans le
bassin de la sorcière s’élevait dans les airs. Nayavu s’y cramponnait comme à
une bouée pour ne pas sombrer dans la tempête. Et à mesure que la toile prenait
vie, sa colère décuplait, mêlant les larmes, la sueur, la bave et le sang.
- Sorcière ! Ce n’est pas Mahala que tu
peins ! Arrête ces gestes insensés. Je veux voir ma grand-mère.
Une lignée de cris sourds, longs et profonds, sortait
du ventre de Nayavu, galvanisait la sorcière qui livrait bataille avec la jeune
fille au bruit de son chant devenu tambour, rythmant les mouvements de ses
jambes qui, comme une onde, se propageaient au bassin, au buste, aux bras, aux
doigts, aux pinceaux pour venir éclabousser la toile.
- Je ne veux pas de ce visage lisse et joufflu. Ma
grand-mère a les joues creuses et ridées. Déchire ta toile, sorcière !
Et quand Nayavu eut fini de cracher toute sa rage, dans
un grand relâchement, tout s’apaisa. Son souffle reprit son cours habituel et
les gestes de la sorcière devinrent harmonieux. La vieille femme remit le tableau
d’un enfant tout juste né à Nayavu qui le mit de côté. Puis elle tendit à la
jeune femme la clef du cadenas rouillé, celui de la porte disparue. C’est alors
que le visage de la sorcière entra dans la lumière. C’était celui de Mahala, la
grand-mère, que la sorcière était allé chercher au-delà des mondes connus.
- Nayavu, voici le plus précieux de tes désirs, la
clef que je suis allée chercher auprès de ta mère. Elle aurait dû te la remettre
le soir de tes 12 ans, et t’en dire le secret. Ta mère est morte lorsque tu es
née. Même si tu ne l’as jamais vu, elle t’a donné son amour quand tu étais au
creux de son ventre. Toi, en grandissant, tu n’y a vu que la rage de l’abandon.
C’est cet amour qu’il faut que tu retrouves
pour apprivoiser cette clef, pour chercher et aimer un compagnon qui
t’aidera à l’animer, pour la transmettre à ton tour afin qu’elle poursuive son
chemin. Tu es une jeune femme à présent, mais tu as encore le temps de faire
tout cela, et tu sauras le faire Nayavu, tu sauras apaiser ton cœur. Tu as une
mère et tu en deviendras une à ton tour. Maintenant que je ne suis plus dans le
monde connu, laisse-moi gagner tranquillement les rives imperceptibles. Ta mère
m’y attend. Bien plus tard, tu pourras nous rejoindre.
Cette histoire-là, celle que je viens de vous
raconter, Nayavu l’a dit à sa fille à son tour, qui vous l’avez compris, est finalement
venue. Au soir de ses 12 ans, Aquene, la fille de Nayavu, a reçu en cadeau, la
clef et son secret. Et qui sait ? C’est peut-être cette clef-là qui a
cheminé jusqu’à moi.
Katell Salazar - Décembre 2019
Pour en savoir plus sur Aleph Ecriture
Et pour le spectacle conté "Baba Yaga, territoire sacré" de la Compagnie Renard noir
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