Que faisait ce monsieur en costume gris à farfouiller sous un siège de TGV ?

Situation incongrue, un monsieur en costume gris à quatre pattes farfouillant sous le siège de son TGV? Que fait-il ?
Ce texte a été écrit un soir, entre Dijon et Paris, en rentrant d'une journée de séminaire sur le handicap au travail que je venais d'animer. Le matin dans le train, il y avait un monsieur en costume gris qui cherchait "je ne sais quoi" sous son siège de TGV et moi, par-dessus mon livre, qui zyeutais à la sauvette.... la suite, n'est qu'imaginaire. 
Tout peut servir de prétexte au récit quand on est disposé à observer, se questionner et à laisser l'imaginaire filer.



Ma décoration

Que c’est embarrassant, mes voisins de voyages doivent se demander ce que je peux bien faire là, à quatre pattes, dans mon costume gris anthracite, sous les sièges du TGV.
Elle est si petite, et noire en plus, comment je peux la retrouver dans cette moquette aussi grise que mon costume. Et puis, comme c’est incommode de fouiller cette moquette sous les sièges de ce train, je n’ose imaginer toutes les immondices que je peux frôler des doigts, transportées par les semelles d’autres voyageurs et laissées là sous ses sièges, au milieu de miettes de croissants, chips ou je ne sais quoi d’autres.

Ha! Que c’est embarrassant, et personne pour m’aider. Il y a bien cette femme, dans la rangée d’à côté, je sens bien qu’elle me regarde de temps en temps par-dessus la lecture de son livre. Mais bon, je ne peux décemment pas lui demander de l’aide.

Comment ai-je pu tomber si bas ? Comment ont-ils pu se débarrasser de moi comme d’un mal propre ? Ha j’ose le dire, comme d’un vieux con ! C’est bien pourtant comme PDG de PlastiPlus que j’ai l’eu ce prix d’honneur. Le patron qui avait réussi les plus belles embauches de gamins sortant de prison en 2004. Le conseil d’administration était fier de moi à cette époque. Comme çà à vite changer, je n’ai rien vu venir. La mort de Monsieur Desfrémont, le créateur de l’entreprise à qui j’ai succédé. Il était resté dans le conseil d’administration après son cancer du colon. Il s’en était remis, mais il ne pouvait plus travailler autant. Et moi, son directeur administratif et financier, son bras droit et son homme de confiance, je lui avais tout naturellement succédé. Et puis à sa mort, ces deux fils, des bons à rien gâtés qui n’ont jamais compris la valeur du travail ont hérité de l’entreprise. Ils lorgnaient sur le magot depuis longtemps, alors ils ont vendu PlastiPlus au plus offrant : un fonds de pension américain… c’est tellement plus facile d’avoir de l’argent frais tout de suite, sans se casser la tête. Et puis voilà, le vieux con, celui qui se préoccupe tout autant du bien-être de ses gens que de la bonne marche  de l’entreprise, du balai ! On n’est pas là pour faire du social, nous ce qu’on attend, c’est un maximum de chiffre pour payer les retraites de nos clients aux Etats-Unis ! Mes gars qui s’usent à la tâche pour payer la retraite des américains, sans même être assuré pour la leur, drôle d’époque.

Et me voilà maintenant dans un TVG pour Metz, en seconde classe, me rendant à un entretien d’embauche pour « accompagner le changement » dans une entreprise de cartonnage ! Pourquoi ne pas dire plus clairement, « pour licencier ce qui ne permet pas d’atteindre le seuil de rentabilité optimum ». Je suis tout seul, Martine n’est plus à mes côtés, ma fidèle secrétaire qui m’a accompagné pendant 20 ans à PlastiPlus. Martine, mise sur le carreau elle aussi, ben oui Martine n’était pas une assistante de direction bilingue.

Martine, elle saurait la retrouver ma petite décoration toute noire, qui a sauté comme une puce sous les sièges de ce TGV.

 Entre Dijon et Paris – Février 2012

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